34. Jusqu'aux autres bouts de la mer
Chaque jour suffit sa plaine. Ainsi l'été touche à ma fin et il est l'heure de repartir. L'heure de répartir l'horizon dans quelques plis de mes bagages et d'aller froisser mon blue jean sous les nuées d'autres pays.
Une petite tente igloo, rouge et deuxième main, avec laquelle j'imite malgré moi l'aventurier mal équipé entre Selfoss et Hella, entre Höfn et Dettifoss, Húsavík et Akureyri, Egilsstaðir et Seyðisfjörður.
Avant de m'échouer à Vík, j'ai joué le bourgeon ambulant, le champignon, déambulé et intrépide au hasard des branches ramifiées de la route numéro 1.
Puis un passage de gué et un alphabet plus loin m'ont immobilisé, pour mon bien, dans une ferme et un village aux abords d'une plage toute noire.
Je restais là, sans « broncher », jusqu'à retrouver ma santé et le fil dénoué de ma voie.
D'abord à l'écrit, dans mon lit. Puis à l'écrit, sur la plage. Puis à l'écrit, sous la pluie...
C'était pourtant à prévoir. Un tel calendrier de précipitations c'est le point d'eau commun entre Vík et Seattle.
À ces heures basses où rien ne bouge, sauf un soleil feignant de s'aliter avant de revenir sur ses pas cependant qu'il se fait bordé. Ici, les ciels boréaux sont de puissantes peintures à l'huile. De l'outremer tâché d'incandescence. Mais n'en déplaise aux beautés oculaires, plus d'un soleil couchant sur deux tombent à l'eau avec sa peinture. Juste pour arroser son île et les autres charmes en pousses.
Toujours pas vu les icebergs gris, et blancs, et bleus. Ce bassin et son estuaire, où s'offre à voir l'impressionnant vêlage du Vatnajökull.
Jökulsárlón m'attend toujours sur la route. D'un bond je me décide. J'y vais. Béni à nouveau par mes hôtes.
Et juste avant départ, j'enfouis dans mon auguste chambre quelques vers expérimentaux écrits juste à l'oreille, ou soufflés par les elfes, dans cette langue qui m'échappe merveilleusement.
Après cette heureuse immersion dans la culture islandaise, mon aplomb reprend du service et mon sac se reremplit de thon en boites et de sachets de céréales.
Les paysages suivant s'échangent, sans aucun pourparlers. À croire que Vík est la frontière entre le fragile du vert tendre et le lunaire sombre incolore qui s'étend jusqu'à Höfn.
Longer la côte, les contours de glaciers, les flancs de volcans.
Jusqu'au singulier coup de foudre, une heure durant, pour le plus formidable bac à glaçon du monde. Tous les jours, le glacier Vatnajökull accouche dans Jökulsárlón.
Il est l'heure de repartir. Alors je rebourgeonne un temps jusqu'aux chutes de Dettifoss, pour éprouver au plus près les forces de la nature. Jusqu'à Húsavík et Akureyri, pour la sonorité des noms. Depuis le col du cratère de Krafla, je note que certains visiteurs ont laissé tout au fond divers petits messages de paix, écrits avec les seuls moyens du bord, des pierres...
Je n'achève pas le tour de lîle, tant pis pour Reykjavík et mon pass circulaire.
À la place, je lève mon pouce en marche arrière.
Il est l'heure de repartir.
Sur le port de Seyðisfjörður, un gros bateau m'embarque. L'ancre est levée.
Adieu à la maison de tourbe et aux silences géologiques des orgues basaltiques. Le chant des vagues trace la courbe qui me montre du doigt l'Europe. Et pour mieux lire dans l'océan, je jette des vers à la mer.
Après l'Islande, voici les îles Féroé.
Entre les deux, le grand large, les salles d'un ferry sans vie et au dehors, miracle : Une grosse poignée d'épaulards!
J'apprends d'un militant écologiste que cette année les Féringiens n'ont pas organisé de « Grind », l'abattage rituel sur leurs plages de centaines de globicéphales qui nourrissent ces îles en toutes saisons.
Sans connaître la tradition, je me réjouis de ne pas pouvoir assister au traumatisme visuel d'un littoral ensanglanté assorti à ma tente igloo.
Je suis heureux alors de demeurer pour quelques jours la seule petite goutte rouge sur ce gros rocher vert.
Des nuits et des tangages plus loin, je débarque à Bergen.
Et pour ma première entrevue avec la culture norvégienne, je cours manger comme douze quelques spécialités mongols, dans un restaurant de la ville qui sert à volonté.
Adieu les boites de thon et les céréales en sachets, pensais-je...