8 aout 2001 (le commencement)

1. UN MATIN D'AOUT 2001, PARIS

 

Sortie du métro Porte de la Chapelle.

 


Sur ma page 1:


Aéroport Charles de Gaulle

                - Stop -


Sur le recto, en grosses lettres, 5 mots.

Une Renault 5 me prend.


Sur le verso, à l'intérieur, j'écris:


Jamais je ne conduirai mais

au volant des mots deviendrai

ma propre prose vivante.


A la ligne le temps.

Au temps la ligne.


L'horizon s'écrit au présent.

En avant!

En avant Aujourd'hui!

Demain déjà vous remercie.


Sur la banquette arrière, juste une poignée de vers ;

mais bien des tours de monde après, je ne sais souvenir leurs pairs.




2. Aéroport Charles de Gaulle, Terminal 1

 


Sur ma page 2:


Votre biographie

contre un billet d'avion.


Prière

de bien vouloir me prendre aux mots!




Des heures et des heures tombent. J'attends debout.

Beaucoup de sourires.

Beaucoup me regardent sans me voir.


Quelques yeux de mépris aussi:

Petits monceaux d'humanité en vacances prolongées,

bêtise contemporaine d'une hauteur inimitable..


Pendant leurs pauses, des employés de l'aéroport m'interrogent.

Ici par compassion, et là par sympathie.

Pour les mêmes raisons je réponds.


Quelqu'un soudain me prête espoir:

Madame à un billet pour Londres en trop. Ni échangeable, ni remboursable.

Il m'est proposé gracieusement et sans contrepartie. Mais il y a un nom dessus.

Un autre nom que le mien.

Je ne suis pas collectionneur et délaisse l'appropriation d'un billet à usage perdu.

 


 

On me parle et me parle. Encore on me questionne.

Tant et tant de curieux en mal d'un voyeurisme enthousiaste et bavard.


Je ne sais ou je vais. Et à tous ceux qui me demandent je leurs réponds que je pars.

Je pars, et je suivrais le vol qu'il leur plaira.


13h00.

« On » me fait porter un sandwich.

Je remercie le serveur sans n'avoir vu mon bienfaiteur.


Après manger, le décollage se fait plus proche.


“Bonjour!”

Elle parle un français presque sans accent.


« J'ai Bangkok, ou Vientiane, mon vol a une escale ».


Je regarde mon annonce papier.

Rien n'y étant précisé, elle seule peut décider l'itinéraire de sa biographie.


Elle sourit.


« Où sont vos bagages?»


Je lui montre mon stylo.

Elle s'arrête de sourire.


En hochant les épaules, je lui montre mon seul leste, un petit stock de papier.

Elle rit un peu. Un peu forcé je pense.


« Vous avez un passeport? »


Je lui montre mon passeport.


Gagné!

Je l'accompagne au guichet de la Thai Airways pour faire changer son deuxième billet à mon nom.


« Vientiane? »

« D 'accord. »


Je m'enquiers du temps de vol.

18h00.


« Je m'appelle *hQui*, ravi d'être votre biographe ».

« Iona, enchantée. »


Elle sourit de nouveau, me serre la main, et puis s'incline poliment tendant son autre main vers le hall de l'aéroport à la façon d'un maître d'hôtel asiatique.


Du plus profond de mon sincère merci j'accepte son invitation.


De son côté, l'hôtesse ne nous témoigne qu'un très joli regard blasé.



 

3. Dans l'avion

 

Après l'embarquement, Iona sait tout de mon voyage.

Aucun argent, aucun bagage, je ne vivrai que de mes mots, et de ceux qui les aimeront.


Et pour la biographie?

En me prêtant son E-mac, elle me demande si je veux bien l'inventer.


“Vous savez taper n'est ce pas? C'est pour mieux la conserver.”


Alors j'acquiesce.


Elle programme une alarme.


“Quand ça sonnera voulez vous bien me réveiller pour me faire lire? Je vous dirai quelles parties développer.”


4h durant j'écris.


Iona est Autrichienne, mariée depuis 11 ans à un homme d'affaires Japonais.

Elle ne travaille pas, parce que son mari le fait trop. Et s'ils n'ont pas d'enfants, c'est faute de temps pour essayer.

Ils vivent à Paris, rue de Rivoli mais n'y sont que rarement.

Ils voyagent énormément, surtout son mari, pour le travail.

Elle, suivant la nature des séjours, l'accompagne, le suit, le rejoint. Davantage elle l'attend.

Elle a très peu d'attaches et ne voit que peu sa famille.


7 ans plus tard, j'ai quasiment tout oublié de sa vie inventée.

A l'épreuve du temps qui l'efface, sa biographie amincie.


L'alarme avait sonné.


On nous sert les plateaux repas.

C'est bon ou pas. Je ne sais plus.


Aussi concentrée qu'impassible, Iona a mis plus d'une heure pour lire une trentaine de pages.

Elle ne fait aucun commentaire.


“Pouvez vous développer un peu ma vie d'avant mon mariage? Ma naissance surtout, et puis l'université.”


Intimidée? Troublée?

Déçue..?


Elle programme une nouvelle alarme.


Je reprends.


Naissance à Vienne.

3 autres soeurs la suivent.

Rapidement son père meurt.

Iona est très studieuse. Plus tard elle sera avocate.

Mais plus tard elle préfère les langues, étudie le français, l'italien et se passionne pour la littérature. Avec sa classe de lycées elle part à Rome, puis à Paris. Elle y retourne à 22 ans pour une thèse sur le romantisme.


Je réinvente ici le résumé de sa vie, en même temps que j'en raconte le déroulement de l'invention.


Iona s'est endormie avec un masque sur les yeux.


Elle a questionné ma démarche pour y traquer le moindre suc

mais pas une seule once d'enthousiasme.

Beaucoup d'intérêt mais stoïque.

Je suis vexé en l'air.


Depuis le décollage, plus un sourire.

Au lieu de quoi, des semblants de concentration, une économie de parole.

Cette femme prend l'avion très au sérieux. Quel manque de drôlerie arrogant!


Accolée au hublot, bandeau-lunettes en tissu noir, son sommeil lui fait des UV.

Iona s'arrange avec Morphée pour cacher sa biographie.


Rien ne bouge sinon mes doigts. M'écouterait-elle écrire?

Possible...


Je demande à son silence si au fond elle m'est sympathique.

Il me rétorque: « Énigmatique »,

juste avant de me rappeler, un brin sévère, la provenance de mon billet.


Passons...


Par dessus les nuages, tout est bleu nuit-qui-tombe. Une banalité si paisible

que sans aller coucher mes cils je pourrais m'endormir ainsi.

La nuit passée déjà, des mots m'avaient remplie la tête.

Tous mes rêves éveillés avaient tue ma fatigue, et l'excitation du départ avait bercée mon insomnie.


A présent, je dépasse l'Europe, la Méditerranée. Et de nouveau,

l'écran blanc à écrire l'emporte sur le hublot bleu à dormir.


Vient l'heure de la seconde alarme.


Les jambes en trains d'atterrissage, bordé d'impolitesse j'assume

un somme plus long que 100 000 loirs.

Je rends à Iona son ordi et dors jusqu'à Bangkok ainsi.

Mais non...

Ce n'est que l'aparté d'un songe.


Je donne à Iona un sourire, en lui passant la machine blanche.

Puis je joue avec mon attente.


Pourtant, cette idée de sommeil caresse tout mon corps en proie à maints gémissements aphones.


La biographie de 50 pages est sur les traces

du même accueil que son ébauche.

Iona s'y consacre deux bonnes heures, sans autre visage qu'un témoin

au procès de Nuremberg.


Ma bienfaitrice est déprimante.

Et pour la première fois du vol, je promène mes yeux dans l'avion.


Incroyable.


Enfin.


J'y suis. Je vole. Je l'ai fait...


Je réalise soudain que, dans moins de sept heures,

seulement,

je serais au croisement du hasard, de ma prose, et du globe.


Tous les gens d'ici sentent très fort

le tourisme aller-retour, les congés payés, et le plastique à valises.

Odeurs sans persistance.


Mais dans ma bouche un goût étrange.


Je viens de mordre à l'aventure. J'en prends conscience et aussitôt

la conscience m'en reprend :


La liberté. La légèreté.

Deux mêmes sentiments qui se vivent à l'exponentiel.


Je m'en vais aux toilettes consigner cette pensée

et l'y laisser à vue:

Un post-it dans le ciel pour voyageurs universels.


Mais sur place je n'écris rien.


De l'eau sur le visage, un regard dans la glace

et la fatigue entre quatre yeux qui gentiment me dit qu'elle passe.


Je retourne à ma place.


Après cette « révélation », Iona est la même qu'avant.

Une différence toutefois:

A présent je m'en fous.


La poésie poursuit mon vol et demain je boirai son encre.


Je m'imagine déjà. Je m'imagine ailleurs.

Jusqu'à me faire gifler, ailleurs, par le culot de mon imaginaire.

Ca ne fait pas mal mais pour surprendre, c'est efficace :


Diantre! Dans quel pays se trouve Vientiane?


Voilà près de douze heures que je vais dans une direction n'en connaissant que le nom.


Au fond, ce n'est pas vraiment déplaisant...

Mais je regarde mes billets.


A 1h00 d'avion de Bangkok ça peut être en Malaisie, au Cambodge, en Birmanie, au Vietnam...?

Par proximité phonétique, c'est le Vietnam qui retient tous mes pronostiques.





4. 13ème heure du vol Paris-Bangkok




Coup de théâtre.



De discrets applaudissements échappées des mains de Iona m'enlèvent à mes réflexions.


Je n'en reviens pas. Elle sourit!


« C'est formidable. Je ne pensais pas être à ce point imaginable. »


Abasourdis, je ne dis rien.


Elle applaudit de nouveau.

C'est une poignée de claps claps empressés, contenus,

comme sous le coup de la surprise.


«A vrai dire, je n'étais pas sûr que ça vous plaise... »


« C'est normal... » Et elle rit.


J'attends la suite. Mais pas de suite.

Elle referme son portable, avant d'ajouter tout sourire :


« Avec tout ça, c'est la batterie qui fait grise mine. »


Mes impressions « bIonagraphiques » demeurent des plus mitigées.


Jusqu'à Bangkok, Iona me parle et m'interroge.

Elle n'a plus aucun accent.

Son français devient même étonnamment littéraire.

Pour m'épargner au mieux toute impolitesse maladroite, j'hésite d'abord la remarque.


Puis ma curiosité l'emporte.


« C'est possible... » Et elle rit.


J'attends la suite. Mais pas de suite.


Elle me parle littérature, sonde mes goûts en la matière.

Maints et maints titres cités.

Les toutes dernières merveilles de l'Edition contemporaine, m'évoquent au mieux des affiches de cinéma.

Des films que je n'ai pas vu.


Je préfère la poésie mais j'écris plus que je ne lis.


On en revient à mon voyage. Sa durée indéfinie. Ses facteurs aléatoires.


« Pour une première étape, le Vietnam c'est pas mal. »


« Ah!? » Iona paraît surprise, déçue, introspective, troublée. Différente...

« Alors faudra refaire du stop à Bangkok ou Vientiane. »


« Mais... Vientiane n'est pas au Vietnam..? »


[...]


L'auteur fait ici l'impasse volontaire sur de récents éclats de rire et le ridicule insolite qui firent place à ses derniers dires.

Choisissant de sauter la page, une poignée d'heures et une escale, il ne reprendra son récit qu'à son arrivée au Laos.


 


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Pour la suite chronologique

5. Vientiane, Laos.

et chapitres suivants

 

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