44. Entre usage du ciel et poussières

Publié le par L'homme Qui



Dans l'entre-lieu aseptisé de la maison mère des sas, d'un aéroport à un autre, la densité des êtres humains se vit comme une foule qui passe ; là où d'autres fous se repensent.

Et autour d'une seule bulle, climatisée pour des flocons de discipline au verre, le monde se scinde en dessertes qu'étoilent de larges portes high-tech et des pistes numérotées.


Après, le monde peut se laisser filer pour relier tous ses morceaux.


Ils changent et ils changent les drapeaux.

Et les douaniers, et les badauds.


Et les langages autochtones!


Lorsque l'on connaît la chanson, ce sont les gammes d'une routine. Une habitude contre laquelle l'alcool fort sied tant aux chariots qui roulent dans les avions de ligne.


À moitié vide, à moitié plein...

Plus d'altitude, moins d'Atlantide.


A travers le hublot, les moutons sont plus gros. Et ils lévitent, toujours plus haut.


Sous le plumage imaginaire d'un grand oiseau de métal raide, quand les distances aériennes avalent des frontières inventées où disparaissent les pays, la tangente cérébrale d'une liberté planétaire se révèle au rêveur mieux qu'une colonne vertébrale ; prévisible symptôme de la vie éventée de l'intérieure.


Mais contre les perturbations, veuillez monsieur rattachez votre ceinture!


L'inutile et le too much, au couloir la danse des consignes,

le service après voûte d'un confort brassé par du vent, et

le renfort surfait des hôtesses de l'air se sont simplement substitués

au libre temps de l'espace-team qui arbitre et camoufle

la jolie équité du vide, la douce

accélération du temps qui

suspend ailleurs notre vol lent

quand on voudrait qu'il nous dérobe, et au monde et au temps,

et jusqu'au voyage suivant.


À la manière inique d'un isolant humain, le personnel et le protocole de bord agissent sur les passagers. La politesse automatique complète machinalement le dur labeur du sourire et la grâce de gestes délicatement mécaniques.


À chacun sa routine.


La mienne, moins circonscrite, devait être l'anglophonie. Cette musique familière qui s'enchante pour l'accent français.

Mais il y aurait du retard, et le français referait ses devoirs.


D'abord, à Edimbourg ou Glasgow, j'allais gentiment déchanter face aux rudesses de l'accent des écossais.

Puis j'écrirais sur le sujet, comme sur le surmont d'une lacune, pour m'extirper, par des messages au bout des doigts, à la faille de mes oreilles.

Le temps que je compose sur eux les traits que je leurs imagine, des passants trouvent à lire sur moi un feuillet de mots qui leurs parlent.


Entre temps, un petit bout d'Highlands me rappelle les îles Féroés.


Beaucoup de route et de belles personnalités.

Par là des étudiants, encore.

Ailleurs, des gens de lettres, aussi.


La Grande Bretagne est un petit monde dans le grand.

De la terre, et autour d'elle de l'eau.


Belfast, Dublin, Liverpool, Birmingham, Oxford, Londres.

Il faudra remercier un jour les amis bolognais pour ce florilège de contacts et d'adresses fleurissant ma cause.


Des universitaires, des linguistes, tous activistes du langage, influencent mon itinéraire. Mot à mot, ils rassemblent les adeptes juste afin de sauver, à grand renfort de mémoire, d'anciens mots en phase d'extinction. Des mots menacés par l'oubli mais qu'il suffirait d'employer pour qu'ils continuent d'exister.


Pour en préserver quelques uns de la disparition, j'en fais circuler au compte goutte dans mes papiers poèmes de rue. Et aussi dans ma propre langue, friande d'anglicismes néolds quitte au passage à en modifier le sens.


C'est ainsi par exemple, en songeant aux influenceurs politiques, que le nom commun anglais historiaster, tout fraîchement francisé en verbe, rejoignit le non moins récent dictionnaire des mots qui manquent, indépendamment de sa survie anglophonique.


Sauve qui peut le monde des words! Voilà un appel qui n'aura pas été lancé dans l'oreille d'un franco-sourd.


Après trois mois dans les pays des grands bretons, j'aurais pu jouer encore la langue, en vendant des poèmes lunaires au dessus de la Tamise, comme on jette des bouées de sauvetage.


J'aurais pu,

si un couteau en quête de viande ne m'avait assailli au flanc, un jour très froid, quelque part dans l'East-End.


L'arme blanche trouve sa logique dans la main de ceux qui ont faim.


S'il m'avait entendu, s'il avait un peu attendu, j'aurais pu le lui dire et lui céder sans doute de quoi manger moins fin.

Mais avec mon agresseur on ne s'était pas compris. C'est dire combien est dangereuse l'incompréhension des êtres.

Après avoir commis le pire en faisant couler gros mon sang, il n'aura même pas pris le temps de me prendre aussi mon argent.

Par anticipation inconsciente de mes frais d'hôpitaux, dépassé par les événements, il avait seulement pris la fuite.

 


Il faisait encore jour.

Une dame venait de crier, et d'autres peut être avec elle.


Parce que le ventre me brûlait.

Parce que misère et injustice peuvent souvent se montrer létales et que leurs conséquences font peurs lorsque le trottoir vire au rouge.


Parce que...


Une fois au sol, la nuit soudaine me tombait lourdement dessus, comme l'impuissance de la détresse et la gravité des regards.


Autour, les corps inquiets semblaient géants, ou juste debout trop longtemps.


Seule la douleur s'éloignait.

Je me croyais déjà mourant.


Ensuite, trop sensible à l'idée du sang, j'oubliais de rester conscient.


Le même soir, on me réparait sur un lit, et je faisais la connaissance d'un énorme pansement.



 



Nouvelles entrées au dictionnaire des mots qui manquent:



Historiaster v.int.

Déformer sciemment l'Histoire, ou une histoire, pour mieux faire valoir son point de vue.


Néold adj. préfixialisable

Qui relève d'une nouveauté inspirée par le passé.


Souplaner v.int.

Boire de l'alcool en avion.


Surmont n.m.

Dépassement d'une adversité.


Vivain n.m. invariable

La vie au delà de tous ses états, matière première immuable qui anime les espèces vivantes, leurs préexiste, leurs sur-existe.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Que cette aventure dure. <br /> Par égoïsme pur de ma part. Comme une impression de voyager avec toi. Et tes mots m'entraînent dans une spirale sans fin qu'il m'aurait plu de vivre...La vivre avec les yeux est déjà beaucoup.<br /> Une écriture digne du grand auteur que tu es.<br /> Merci. Mèl.
Répondre
L
<br /> Vivre des yeux c'est un voyage à part une aventure qui dure loin un "égoisme" généreux et que j'adopte sans fin comme le hall d'une abécyme. Abécyme n.f. Orphelinat de mots perdus.<br /> <br /> <br />