25. St. #317.

Publié le par L'homme qui ne vivait que de mots



Un quartier excentré, des routes qui n'en sont pas.
Et une villa extra-large, importée tout droit de Dallas.

Here we are!

Keng est le seul sympa du groupe.
Le plus cultivé, le plus cool.

Non pas que ce soit cool d'être cool. Au contraire...
Le must ici a des faux airs de nihilisme.
Mais simplement, il est comme ça.

A Phnom Penh, être ouvert n'est pas tendance. L'art et la culture peu en vogue.
C'est juste bon pour les touristes, les expats, et une forme de noblesse éteinte ou en voix d'extinction.

Le cercle des jeunes branchés est plutôt circonspect.
Quelques dizaines de gosses de riches, là où l'argent est souvent louche.
Amis ou pas, tout le monde connaît tout le monde.
Et chacun, là, entretient un respect d'apparence.


Phnom Penh sort à peine du far-west.
Les armes ont été rangées. Mais les porte-flingues demeurent.

Quelques années plus tôt, pour immortaliser la très relative victoire de la cesse sur le feu, l'ONU avait fait ériger, en rond-point et à deux pas de l'ambassade de France, un monument révolver.

Une sculpture métallique, 100% premier degré. Le bout du canon est noué.

Mais qu'importe...
S'embrouiller c'est une tradition.
Et les pétarades sont fréquentes.

Sans avoir à se mouiller, mes hôtes ne sont guère en reste.
Aussi, le gun participe à leur look.
Et ce, même s'il ne se voit pas,

Aucun réel besoin, jamais de brèche à leurs moyens.
En bon magouilleur de la haute, c'est leur padré qui y veille.

Les vitres tintées du 4x4, ou de la Toyota Camry noire, glissaient d'un pot-de-vin à l'autre, et de bordels en casinos.

Le toit de la villa se coiffait d'une grosse antenne.
Un genre de parabole high-tech pour communications abstraites...



En société, je suis un genre de faire-valoir.
Inviter un blanc ça fait classe.

Je ne dirais pas qu'ils flambaient...
Ils avaient le cash pyromane!

Mais dire merci les indispose.
Quelque part cela fait écho aux vraies intentions de leurs gestes.

Alors je les laissais se montrer au dessus de ça.

A la villa, toutes les journées s'imitaient.
Défoncés un peu à la coke et beaucoup au yaba.
Plus rarement aux ecstas.

Une fois m'avait suffit. Je ne touchais pas à ça.

L'herbe, ou l'opium, ça faisait je crois trop local.
Ou bien trop touristique.
Dommage...


Aucun des frères n'étant jamais d'accord, le nom du groupe changeait.
Comme les chemises de Chica.
Comme celles de Vichea.
Un mauvais goût bariolé de frasques chaotiques.
Prétexte à disputes cinglantes.

Lors des concerts, toujours petits.
Toujours plus ou moins glauques aussi.
Il n'y a de présentations. Ceux qui sont là savent tous déjà qui ils sont.
Et les noms de scène ils s'en foutent.

Mais Chica et Vichea ne rigolent pas avec ça.
Un de leurs cousins a percé jusqu'en Californie, alors... Ils escomptent le succès aussi.

Ils sont pressés, orgueilleux, aveugles et sourds à l'extérieur.
Sauf la médiocrité peut-être, rien ne sera jamais gagné.

Keng pourrait-il croire le contraire?

Lui seul à un réel talent.
Je me demande ce qu'il fait là...

Sophear a sa beauté pour elle, une voix.
Mais pas de terrain d'expression.

Leur musique n'en est pas une.
Et les chansons sont inutiles.



Nul part ailleurs je n'ai si peu écrit.
Et la langue française me manque.

La sueur dehors est étouffante.
Et la clim dedans est austère.

La chaleur est trop ocre.
Les moustiques sont très forts.

A longueur de temps je promène les yeux de mes pas sur la ville.
Nourrissant bien des impressions.
Titillant le bleu sans le ciel.
Et la racine de l'horizon.

Puis je reviens ici.
Face au portail immense d'une bâtisse sans âme.
Devant la petite guérite d'un gardien mécanique.


Plusieurs domestiques vaquaient.

Le jardin. La cuisine. Les courses et le ménage.

Au début je ne savais pas qui des quatre habitaient là.

Il y avait tellement de pièces!
Je croisais très peu les parents. Ils m'en considéraient d'autant...

Vichea et Chica sont frères.
J'aurais pu m'en douter mais je ne l'avais pas fait.
J'avais cessé, depuis déjà plusieurs mois, de faire confiance à ma perspicacité.

Keng vivait là, comme moi.
A la différence de taille qu'il était leur pote et moi pas.
Le thaï et le khmer c'est proche, ils conversaient sans problème.

Avec l'anglais, Keng excepté, ce n'était pas de même aisance.
Alors, tant bien que mal, je tâchais d'apprendre le khmer.

Avec l'accent, le prénom de Sophear ressemblait à “soupir”.
Ce qui lui allait comme un charme.

Elle, ne vivait pas sur place.
Ou du moins elle n'y dormait pas et ne venait pas tous les jours.

Pour se faire désirer, pour souligner son caractère...
Elle décalait ou annulait, les invites, les rendez-vous et les répétitions du groupe.
Avec un systématisme qui en était presque comique.

Chaque fois pourtant, Vichea et Chica s'en plaignaient. Et feignaient le reproche.
Ils s'appliquaient, sans même se concerter, à paraître crédible.
En vain. Et sans même s'en rendre compte.

Il était clair qu'ils en pinçaient pour elle.
Aussi clair que, du côté de Sophear, ce n'était pas pour lui déplaire.

Mais en même temps, plus elle était belle intégrale et plus ses pupilles noires juraient que jamais elle n'aimerait personne.



La sueur dehors est étouffante.
Et la clim dedans est austère.

Pourquoi y revenir alors?
Pourquoi jouer plus loin ce rôle de cinquième roue de la team?

Je ne me posais la question.
Seulement la réponse.

J'étais la moitié du suspens, Sophear de la résolution.

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J
Impressionant!! j'ai du lire 20 pages d'affilé et c'est à couper le souffle! Je vais vous suivre de plus prés, et d'ailleurs où en êtes vous de tout ça actuellement? Allez, je retourne à la lecture il reste des pages je crois... Ps: Juste une petite critique, ça serait pas mieux de mettre tous vos posts dans l'ordre chronologique?
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E
continuez, ne reléguez pas. ne tombez pas dans la complaisance de l'attendu de nous.
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