28. La langue dans ma poche vide.
Un week-end à la mer, des visites de temples.
Du transport, des hôtels.
Et un visa à renouveler encore.
Me revoilà ici.
À Phnom Penh et sans argent.
Le pécule de Koh Pha Ngan, la cagnotte spéciale coups durs, est érodée jusqu'à la lie. Et mon autonomie fragile est retombée au point mort.
La grosse villa de la rue 317 m'est ouverte à volonté.
Sophear y veille.
Mais moi, dans ce confort aseptisé vautré de luxe glauque et déshumanisé, je ne sais que m'y ennuyer.
Et puis, ce qui n'est pas non plus une nouveauté, le français me manque.
Pas mon pays, ni les français, ça non.
Ce qu'ici je vois des expats parvient à seulement m'inspirer un méchant dégoût tricolore.
Mais le langage... Heureusement y échappe.
Huit mois que je n'ai pas lu un bouquin!
A l'occasion, je feuillette le Cambodge Soir, journal oublié çà et là sous quelques tables de bars.
A la villa, entre deux défonces des frères toxs, je m'adonne à TV5.
Mais bon, ce n'est guère mieux que deux pistaches à l'intention d'un crève la dalle...
Les rêves linguistiques sont fréquents.
Sophear y converse dans la langue de Molière, et moi je m'illustre en khmer.
Perdre la langue, c'est un vide très singulier qui avale l'identité.
Un trou noir qui nous démantèle et qui progresse, à force de petits riens.
Là, il me faut juste l'endiguer.
Alors j'écris.
Des poèmes et des poèmes, à ne plus savoir qu'en faire.
Je les organise en recueil que je donne à Sophear.
Puis j'en entame un autre. Probablement, pour le confier à Keng.
Pour le geste.
Sophear n'affectionne pas la poésie.
Pourtant elle aime l'objet.
C'est l'idée de savoir que, pour elle, je puisse écouler tant de phrases.
Tout un chapitre est à son nom. Mais le contenu ne lui parle.
C'est normal.