40. Un quart de retour au bercail

Publié le par L'homme Qui

 

 

 

Aller-aller-aller-aller-

...retour.

 

Celui-là, j'ai pris mon temps pour le traîner.

 

De Grand-place à Grand-place, Lille et Bruxelles se ressemblent.

Ça adoucit l'entrée en France, remise à plus tard, repoussée.

 

À présent, on me croirait presque pressé. Parce que au Furet du Nord et à cours de papier, je me hâte pour trouver le rayon des bloques-notes. C'est mon cachet à moi contre le mal des transports. À Lille, je ne fais que passer.

 

À force d'insistance, et pour mon anniversaire, j'ai fini par céder.

Je suis à Paris le même jour, et puis dans les Hauts-de-Seine.

 

C'est le même trottoir et la même peinture noire.

Au dessus du portail, deux vieux sapins dansent un slow.

Leurs bras dissymétriques et toute leur envergure saluent mon arrivée avec un flegme souple.

Comme si hier durait toujours.

Alors je sonne.

 

 

"Tu t'es donc enfin décidé."

Si ma mère feint ainsi ce soulagement affirmé, ce n'est que pour mieux s'en convaincre.

 

Non, je ne rentre pas de voyage. Je m'autorise seulement un crochet familial.

Mais déjà sûr de décevoir, je me contente pour l'instant de ne pas acquiescer.

 

Carolina a préparé le dîner.

Bien que discrète, son affection à me revoir me semble autrement généreuse. C'est réciproque.

Sans rééditer mes scandales si prompts à l'embarrasser, j'aurais aimé pourtant qu'elle mange à notre trop grande table.

 

 

Au dessus de nos trois couverts, on s'étend sur mon avenir. J'entends tout, sans rien en dire.

On exulte à mon égard, mais sans moi, en considérant des projets aussi grandioses que sans âme.

On m'exhorte à y réfléchir, mais raisonnablement, pas question d'un second refus. Un désintérêt renouvelé pour l'héritage couleur carotte, qui de nouveau me tend la main au dessus d'un bureau sinistre, signerait l'irréversible ruine de ce futur doré que des générations d'ancêtres ont tracé à la sueur séchée de leurs sceaux, et au courage du coupe-papier.

Il faudrait, pour mon bien, que je me rende à l'évidence : je ne saurais être jeune pour toujours. Et à bout d'éloquence alors, on craint que le revers de la médaille ne mette en péril mes vieux jours - et en faillite avant eux, ceux de mes dévoués parents.

Pour palier un peu plus à la misère des arguments, l'effort de persuasion n'hésite pas à formuler que la connaissance des pays favorise le sens des affaires...

Vendue à ses basses intentions, la mesquinerie de cette trouvaille, qui fièrement confond l'infini charme de la Terre avec les affres cupides de la mondialisation, ébranle la cime de mon émoi.

 

Les simagrées n'auront pas tenu la distance.

À l'endroit de sa descendance, l'amour parental est monté sur ses grands chevaux de Troie. La duperie et deux langues de bois me promettent, à condition que je mente, tous les sentiments les meilleurs, l'immense respect et les honneurs de la digne reconnaissance. Accessoirement, si le mensonge s'engage, avec ma bonne volonté, sur cinq ans renouvelables, je recevrais en prime le plus gros des chèques au noir, et tout l'or du monde d'un vieux coffre.

Oui, tout ça me reviendrait à point, si je ne les fais plus attendre.

Si je renie Ulysse, Robinson Crusoé, Marx et consort, avec ma main droite sur le coeur et toutes mes valeurs de gauche livrées aux flammes de l'oubli dans l'antichambre de ma mémoire immature.

 

Aucune tergiversation ne s'en suit, ce n'est vraiment pas nécessaire.

Et si je suis médusé, ce n'est pas tant par les eaux troubles des gros sous qui rouillent leur vice, ni leurs manières de notaire avarié, je connais mes parents encore mieux qu'ils ne m'ont fait. Mais silencieux de bout en bout, j'escomptais seulement, qu'après une si longue absence, les contours de leurs discours soient redessinés, arrondis, par la diurne tectonique de leurs plans cérébraux.

 

Là, cette absence de nouveauté témoigne d'une évolution restée vingt mois au point mort. L'inertie forme la vieillesse.

 

 

La nature de la paperasse ne permet pas d'être déshérité deux fois. Mais quand même, puni soit qui mal y pense.

 

Sans mon anniversaire et sans un au-revoir, j'allais voir dehors si j'y suis.

 

Ailleurs encore, la vie est belle.

Et elle me souhaite la bienvenue, en avance sur mes rendez-vous du côté des amis .

 

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M
"Sans murs on est plus léger"...<br /> Combien vrai et combien pouvoir le faire...
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L
<br /> Combien se calcule comme ça               <br />                 <br />                    <br />                                        <br />     .<br />                                            <br /> .<br />                                            <br /> .<br /> <br /> <br /> <br />
E
On ne choisit pas sa famille, mais au moins ses destinations, ses envies ou ses au-revoirs...<br /> Partir pour mieux ne pas revenir, et éviter ainsi la valse des relations obligageantes.<br /> Mais des fois, on crochette juste pour se dire, vivement que je reparte, et les voyages ainsi se font clin d'œil légers. <br /> : )
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L
<br /> J'aurais pu crochetter ma serrure. Pas pour ouvrir la porte mais pour la condamner.<br /> Sans murs on est bien plus léger.<br /> <br /> <br />
M
Superbe de vérité et de réflexions. "Chassez le naturel, il revient au galop"....Vite, vite, sauvons-nous !<br /> Oui, allons voir dehors si nous y sommes.<br /> Un texte qui noue les tripes. Très bien construit.
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L
<br /> C'est passé. Je suis sain et sauvé.<br /> J'ai gardé mon cheval naturel pour globe trotter serein.<br /> Tous les dehors du monde n'auront de cesse alors de revenir frapper à ma porte.<br /> <br /> <br />